Comment la France s’est enfermée dans une spirale de chaos et de déclin

Humilié, Emmanuel Macron préside un pays qui a perdu sa raison d’être.

Qu’est devenue la France ? Autrefois le pays le plus beau, le plus brillant et le plus civilisé de la planète, il est désormais pris dans une spirale de déclin apparemment irréversible. Les Français le savent – une enquête menée l’année dernière a révélé que 61 % d’entre eux pensent que le pays est en déclin – mais ils se sentent impuissants à l’empêcher.

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L’humeur est maussade, pleine de ressentiment et de colère. La violence couve juste sous la surface, comme lors des manifestations des gilets jaunes il y a quatre ans. Ceux qui osent regarder derrière la façade en ruine de l’État français découvrent une nation en crise existentielle.

Cette crise a d’innombrables causes. Au cœur de la crise, cependant, se trouve le désespoir d’un peuple qui a été trompé pendant si longtemps qu’il ne croit plus rien de ce que disent ses dirigeants – même s’ils disent la vérité. L’ambiance est crépusculaire, parfois presque apocalyptique, car ceux qui ont été maintenus dans le déni acceptent un présent qui se moque de leurs espoirs pour l’avenir. Il y a à peine un aperçu de la gloire à laquelle ils associent le passé qui recule rapidement.

Au début de l’année, alors que le sort de la France était en jeu lors de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron s’est débarrassé de sa rivale, Marine Le Pen, en la décrivant, lors de leur débat télévisé, comme le caniche de Poutine. Il a été dûment réélu par une majorité substantielle.

Pourtant, il n’y a pas eu la jubilation qui avait accueilli sa première victoire en 2017. Cette fois, les Français ne prenaient plus au sérieux les promesses de leur président : lui et son entourage n’étaient considérés que comme le moindre des deux maux. En un mois, son parti avait perdu le contrôle d’une Assemblée nationale dominée par l’extrême-gauche et l’extrême-droite.

Macron a été humilié : un président qui n’en a que le nom, sa fonction étant privée du pouvoir et de la gloire que l’architecte de la Cinquième République, le général de Gaulle, avait voulus.

Depuis lors, l’enfant prodige vieillissant a cherché à regagner la confiance de son peuple en admettant ce que tous savent : que son pays n’est plus la fierté de la civilisation européenne, mais une nation mal à l’aise avec elle-même, incapable de préserver sa propre identité, sans parler de son héritage révolutionnaire en tant que champion mondial des droits de l’homme.

Une grande partie de la France est dans un état perpétuel de panique ou de rage face à l’immigration incontrôlée et à sa propre population musulmane profondément aliénée.

La semaine dernière, lors d’une interview télévisée, Macron a défendu son bilan en matière d’ordre public après le meurtre sensationnel de Lola, une fillette parisienne de 12 ans, mais a pour la première fois concédé une vérité qui dérange : “Si l’on regarde la criminalité à Paris aujourd’hui, on ne peut que constater qu’au moins la moitié de la criminalité provient de personnes qui sont étrangères, soit des immigrés clandestins, soit des personnes qui attendent un titre de séjour.”

Il y a encore un an, Macron aurait condamné avec véhémence de telles opinions de la part d’un de ses rivaux de droite. Le fait qu’il le dise maintenant lui-même est un signe de son désespoir. Car cela implique non seulement que l’État français a perdu le contrôle de ses frontières, mais aussi qu’il ne parvient pas à intégrer la proportion rapidement croissante de la population dont les origines se trouvent dans les anciennes colonies françaises.

Paris est, après tout, un microcosme de la France. L’anarchie des banlieues qui entourent la capitale, qui s’apparente presque à du terrorisme de bas étage, se reflète dans presque toutes les autres villes. Les graffitis, le vandalisme et la saleté qui défigurent les rues de Paris sont omniprésents ailleurs aussi.

Le délabrement des infrastructures, les monuments hideux des “starchitectes” d’avant-garde, reflètent l’extinction de l’élégance parisienne dans l’art, l’habillement et les manières. Et la conflagration qui a presque détruit la cathédrale Notre-Dame en 2019 a symbolisé l’effondrement du christianisme dans ce qui était autrefois une terre plus dévouée à la Vierge que toute autre.

Le déclin de la France se manifeste de nombreuses façons. Le malaise politique est sous-tendu par un malaise économique qui a été accéléré, mais pas causé, par les chocs de la pandémie de Covid et de la guerre en Ukraine. La longue histoire des gouvernements dirigistes français de gauche et de droite, qui ont privilégié le contrôle de l’État à la libre entreprise, a légué une économie centralisée qui semble incapable de s’adapter aux vents contraires mondiaux.

Prenons l’exemple de l’industrie automobile : elle emploie encore 800 000 travailleurs, mais elle a été plongée dans ce que Le Monde a appelé en avril dernier “une crise existentielle”, avec des ventes en baisse de 17 % par rapport à 2021. Depuis lors, le coût de l’énergie a laissé des entreprises comme Renault, Peugeot et Citröen se battre pour survivre. Une nation de pionniers de la mécanique, traditionnellement obsédée par la route, a perdu l’amour de l’automobile. Pourtant, les capitaines d’industrie se comportent comme des lapins pris dans les phares.

C’est la même histoire avec l’énergie nucléaire, qui fournit 70 % de l’électricité française. L’incapacité à remplacer les infrastructures vieillissantes a laissé plus de la moitié des 56 réacteurs hors service à l’approche du pire hiver de mémoire d’homme.

EDF, qui exploite les centrales, a été nationalisée et, pour la première fois depuis des décennies, la France importe plus d’énergie qu’elle n’en exporte, évitant de justesse les pannes d’électricité jusqu’à présent. Dans un avenir prévisible, le pays a non seulement été dépassé par la Suède en tant que premier exportateur d’électricité en Europe, mais il a également perdu sa réputation de sécurité énergétique.

L’agriculture française perd également du terrain face à la concurrence étrangère, notamment dans le secteur de la production de viande bovine. Au cours des 20 dernières années, la quantité de viande bovine produite en France a diminué de 9 % pour atteindre 1,4 million de tonnes, selon Eurostat.

Parallèlement, l’inflation des produits alimentaires a atteint 11,8 % le mois dernier, les produits frais ayant augmenté de près de 17 % en un an. Si les subventions publiques ont permis de maintenir l’inflation globale en dessous de la moyenne européenne, cette politique consistant à soudoyer les consommateurs avec leur propre argent pour masquer la réalité n’est pas viable à moyen terme.

La pression fiscale en France est l’une des plus élevées du monde développé. Le ratio impôts/PIB français, à 45,4 %, est le deuxième plus élevé de l’OCDE. Celui du Royaume-Uni est de 32,8 %. En d’autres termes, le gouvernement français dépense près de 53 % du PIB ; le gouvernement britannique environ 10 % de moins. Ainsi, bien que les Britanniques paient les impôts les plus élevés depuis 70 ans, nous sommes autorisés à conserver une part beaucoup plus importante de nos revenus par rapport aux Français.

Le chômage des jeunes en France reste également obstinément élevé, à 15,6 %, contre 9 % en Grande-Bretagne. Entre-temps, la croissance du PIB s’élèvera à 2,5 % cette année, selon les prévisions du Fonds monétaire international, tandis que l’économie britannique devrait croître de 3,6 %.

Pourtant, gonflé par ses politiques fiscales confiscatoires et malgré ses politiques commerciales protectionnistes, l’État français n’a pas réussi à empêcher la descente de ses régions industrielles vers un déclin terminal. L’équivalent du “mur rouge” en Angleterre se trouve dans le nord et l’est de la France, tandis que l’arrière-pays rural est tout aussi déprimé. Les sondages d’opinion donnent maintenant au Rassemblement National de Le Pen près de 50 %, la plupart de ces électeurs protestataires étant concentrés dans les régions de la ceinture de la rouille et dans la France profonde.

Environ 3 millions de logements français sont vides, soit 8,2 % du total, a révélé l’année dernière l’office national des statistiques. Ce chiffre est en hausse depuis le début du millénaire, où il s’élevait à 6,9 %. Dans certaines communes, le taux de vacance est supérieur à 20 %.

Le vieux problème d’une bureaucratie centralisée qui étouffe le marché libre signifie que, contrairement à la Grande-Bretagne et aux États-Unis, le déclin des anciennes industries françaises n’a pas été compensé par l’essor de nouvelles industries. Au lieu de réduire les impôts et la bureaucratie afin de retenir les jeunes entreprenants et d’attirer les investisseurs, la France a adopté les goûts les moins attrayants des “Anglo-Saxons”.

Bien qu’ils aient créé le concept même du restaurant, les Français sont plus enclins à prendre un “McDo” pour déjeuner que n’importe quel autre Européen. Mais la vulgarité de McDonalds et d’autres aspects du mercantilisme américain ne sont en aucun cas le pire des importations transatlantiques françaises.

À l’instar de leurs homologues américains, les universitaires et les politiciens se sont récemment affrontés au sujet de la propagation de la politique identitaire woke, qui, selon le président Macron, risque de “briser la république en deux”.

Après la décapitation de l’instituteur Samuel Paty par un islamiste il y a deux ans, une dispute acrimonieuse a éclaté dans les cercles intellectuels français à propos de l’affirmation du ministre de l’éducation selon laquelle les “islamo-gauchistes” sur les campus universitaires fermaient les yeux sur le radicalisme.

Frédérique Vidal avait prévenu que certains enseignants voyaient “tout à travers le prisme de leur volonté de diviser, de scinder, de désigner l’ennemi”.

Le wokisme, avec son intolérance totalitaire et son philistinisme inné, est une menace mortelle pour la vie de l’esprit partout, mais peut-être surtout en France. Pourquoi ? Parce que la France est déjà passée par là.

Comme en mai 1968, les universités sont le maillon faible. A l’époque comme aujourd’hui, les attitudes égocentriques et complaisantes d’une génération d’étudiants menacent de submerger leurs timides professeurs. Les générations françaises plus âgées commencent tout juste à réaliser à quel point elles ont été envoûtées par les gourous intellectuels qui ont pris le pouvoir dans l’après-coup chaotique de 1968.

Le plus intelligent, le plus cynique et le plus pernicieux de ces joueurs de flûte était peut-être Michel Foucault. Ses livres et ses conférences ont sapé les fondements moraux de l’histoire, de la société et de la vie intellectuelle françaises. Ce n’est qu’aujourd’hui, des décennies après sa mort en 1984, que la France accepte progressivement le fait qu’elle a laissé son esprit collectif se laisser bercer par un génie du mal – qui était aussi un pédophile prédateur présumé, selon un contemporain.

Comme beaucoup d’amoralistes de l’après-1968, Foucault était le fils d’une famille de la classe moyenne strictement catholique et il a reçu une excellente éducation. Ce qui sous-tend beaucoup des mécontentements français actuels, c’est la perte de toutes ces choses. L’Église a largement perdu sa place dans la société, la bourgeoisie a été vidée de sa substance, la famille s’est désintégrée et le système éducatif a abdiqué son rôle d’encouragement des activités intellectuelles.

Le déclin des écoles françaises à tous les niveaux est particulièrement pénible pour ceux qui les ont connues à leur apogée. Les lycées et les grandes écoles étaient hautement compétitifs et élitistes, mais ils ont atteint leur objectif de former les dirigeants de la France à un niveau superlatif. Après 1968, cependant, la pourriture s’est installée et a depuis affecté chaque partie du système.

L’année dernière, Macron a fermé l’École Nationale d’Administration, l’école de finition de l’élite pour les dirigeants et les bureaucrates du pays, qu’il a lui-même fréquentée, en affirmant qu’elle était devenue une autre institution à être capturée par la pensée de groupe de l’élite. Cette école a été créée par Charles de Gaulle en 1945 afin de briser l’emprise des classes supérieures sur les leviers du pouvoir en France.

Macron, un produit typique du système, a malheureusement présidé à une accélération de son déclin. La France fait piètre figure dans le PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), se classant loin derrière le Royaume-Uni ou l’Allemagne. La France a glissé dans le classement pour les compétences en lecture, passant du 19e au 23e rang en 2018. Le Royaume-Uni se classe 14e. Une seule université française (PSL Paris) est entrée dans le top 50 mondial, selon le classement du Times Higher Education.

L’une des conséquences a été le déclin de la science française. Cela a été révélé par la pandémie, lorsque M. Macron a dû admettre que son pays était incapable de produire son propre vaccin Covid – contrairement aux États-Unis, au Royaume-Uni et à l’Allemagne. Les autorités françaises ont également mis beaucoup plus de temps à vacciner leur population que leurs homologues britanniques.

Ces faits ne sont pas surprenants. La France n’a jamais été une pure méritocratie : ses rigueurs ont toujours été tempérées par les relations, la corruption et les classes sociales. Mais l’appauvrissement éducatif et économique de la bourgeoisie a mis à mal des professions telles que la justice, la médecine, l’armée et les médias. La qualité des politiciens est elle aussi étonnamment faible. Tout comme Macron n’est pas De Gaulle, il n’y a pas de journalistes de la trempe du grand critique du Général, Raymond Aron. La vie publique française est un paysage lunaire de médiocrités.

La décadence intérieure s’est accompagnée d’un déclin géopolitique. Sous Macron, la France n’a pas soutenu l’Ukraine contre l’agression russe et a perdu son influence dans son arrière-cour nord-africaine. Qui pourrait oublier le contraste entre l’admiration non feinte de Volodymyr Zelensky pour Boris Johnson et son exaspération lorsqu’il s’est retrouvé embrassé par Emmanuel Macron ?

Quelques mois plus tôt, le président français avait dû défendre le retrait des troupes de son pays de son ancienne colonie, le Mali, après une décennie de lutte contre les groupes djihadistes. Sa décision, motivée par une brouille avec la junte militaire au pouvoir, a laissé les soldats de la paix britanniques sans soutien aérien et a ouvert la porte à une plus grande influence de la Russie, qui a envoyé des entrepreneurs militaires privés dans la région.

Même les Allemands, que les Français ont serrés de plus près depuis le Brexit, se détachent brutalement d’un partenaire dont les intérêts sont de plus en plus divergents.

Des réunions intergouvernementales et une visite conjointe à Pékin ont été annulées, tandis qu’un déjeuner Macron-Scholz le mois dernier n’a résolu aucune des questions en suspens. L’Allemagne de Scholz suit sa propre voie, anéantissant les espoirs de Macron de diriger l’UE après le départ à la retraite d’Angela Merkel. Les nouveaux États membres méprisent les tentatives du président français de négocier la paix avec Poutine ; la plupart d’entre eux ignorent tout simplement son attitude.

Le même sentiment d’une puissance mondiale en déclin s’applique, à plus forte raison, au domaine dans lequel la France excellait autrefois : la haute culture. Le mois dernier, le prix Nobel de littérature a été décerné à Annie Ernaux, 84 ans. Comme l’écrivain norvégien Karl Ove Knausgaard, plus connu, Ernaux écrit de l'”autofiction”, obligeant le lecteur à se soumettre aux futilités immersives de son existence quotidienne.

Cette expérience par procuration de la mondanité fascine évidemment un lectorat croissant, mais ce n’est guère la matière dont est faite la grande littérature d’une nation sûre d’elle. Au contraire, les œuvres d’Ernaux sont saturées du solipsisme et du nihilisme d’une nation en déclin.

Un écrivain français plus subtil qu’Ernaux, Michel Houellebecq, a publié un roman bien plus prophétique au début de cette année. Anéantir” se déroule en 2027, au moment où Macron quitte le pouvoir. Sa vision de la France est sombre : frappée par la pauvreté et le chômage, c’est une société qui vieillit rapidement. Il se concentre donc sur les maladies mortelles. Contrairement à Ernaux, qui dépeint la démence de sa mère avec un sang froid choquant, Houellebecq écrit sur la fin de vie avec beaucoup d’humanité.

Pourtant, même Houellebecq ne voit pas de plateaux ensoleillés pour la France. Pour lui, comme pour la plupart de ses compatriotes, Macron n’est pas prêt d’avouer les échecs des dirigeants qui ont réduit la France à un tel déclin économique, social, politique et éducatif. Le pessimisme du plus grand écrivain du pays en dit long sur une nation saisie par la politique du désespoir culturel.

Le dernier testament de Houellebecq est l’élégie d’adieu d’une France qui a perdu sa raison d’être. Sous Macron, les Français ont inversé le Cogito, ergo sum de Descartes. Maintenant, il faut lire : “Je ne pense plus, donc je ne suis plus”.

Source: Telegraph.co.uk

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Simon W
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